La France, la Turquie et l'Union Européenne
Accueil
Édito
Blog
Système Politique Turc
Publications
Séminaires
Colloques
Newsletter
Archives
Liens
Contact

 

Evolution des relations franco-turques et des perspectives d’intégration européenne pour la Turquie depuis l’élection présidentielle française de 2007


La Turquie vit actuellement une période importante pour sa démarche d’adhésion à l’Union Européenne. En effet, en décembre 2006, la crise chypriote a provoqué le gel de huit chapitres (sur 35) des négociations d’adhésion qui n’ont repris que laborieusement le 27 mars 2007 avec l’ouverture du chapitre sur les politiques liées aux entreprises et à l'industrie. Cette relance du processus de négociations doit franchir une nouvelle étape avant la fin de la présidence allemande de l’UE (30 juin 2007), avec l’ouverture de trois nouveaux chapitres des négociations d’adhésion.

Mais l’élection, le 6 mai dernier, de Monsieur Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République en France éveille les craintes de la Turquie quant au bon déroulement de ce calendrier et, à terme, quant au processus d’adhésion lui-même. Pendant la campagne présidentielle, en effet, Monsieur Sarkozy a fait clairement connaître sa détermination à s’opposer à la poursuite de ces négociations en expliquant que la Turquie n’avait pas sa place en Europe. La Turquie et la commission européenne espèrent néanmoins que le Président Sarkozy aura une approche plus nuancée et plus pragmatique que le candidat Sarkozy. Toutefois, les transformations politiques françaises consécutives aux résultats des élections présidentielles ont créé un contexte nouveau pour la candidature turque à l’Union Européenne que les échéances électorales en cours en Turquie pourraient aussi affecter. C’est pourquoi, l’OVIPOT a décidé de suivre au jour le jour l’évolution des relations franco-turques et des négociations d’adhésion.



2 mai 2007 : Lors du débat de l’entre-deux-tours avec Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy redit son hostilité à la candidature turque en déclarant notamment « je m’opposerai à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ». Le candidat de l’UMP explique principalement son refus par un argument géographique : « la Turquie c’est l’Asie mineure ». Comme alternative, il propose la réalisation d’une Union Méditerranéenne dont la Turquie serait le cœur.


 

6 mai 2007 : Nicolas Sarkozy est élu Président de la République Française. Ce résultat provoque de nombreuses réactions en Turquie et à Bruxelles. Dés l’annonce de la victoire de M. Sarkozy, le Président de la Commission Européenne José Manuel Barroso met la France en garde contre un possible veto de sa part à la poursuite des négociations d’adhésion. Il rappelle que l'UE « négocie avec la Turquie sur la base d'un mandat qui a été décidé à l'unanimité par les Etats membres ».


7 mai 2007 : Dans le sillage des propos tenus par le Président Barroso, Olli Rehn, Commissaire Européen à l’Elargissement, ajoute que si un Etat « veut remettre en cause ou changer ce mandat »", il doit « en assumer l'initiative et les conséquences ». Cette déclaration rappelle que les échéances sont proches puisque la prochaine étape de ce mandat consiste en l’ouverture de trois chapitres de négociations avant la fin du mois de juin. Au lendemain des résultats, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan, pour sa part, souhaite que M. Sarkozy modère son désaccord avec les aspirations européennes de la Turquie. Il ajoute qu’il souhaite « ne plus entendre le même genre de propos que ceux tenus par M. Sarkozy durant la campagne électorale » au sujet du processus d'adhésion de son pays et des relations franco-turques.

 

9 mai 2007 : Face à l’hostilité française, Recep Tayyip Erdogan réaffirme la volonté de son pays d’entrer dans l’Union Européenne. Il tente alors de rassurer ses partenaires européens : « notre principal objectif est de poursuivre les réformes qui permettront à nos citoyens d'atteindre des normes plus élevées dans tous les aspects de leur vie quotidienne ». « A cet égard, notre attente vis-à-vis de l'UE et de ses Etats membres est d'éviter les déclarations et les attitudes qui pourraient affecter négativement notre processus d'adhésion ». « La tâche que nous accomplissons n'est pas des plus faciles ». Le quotidien turc « Vatan » estime que la Présidence de Nicolas Sarkozy marque « un tournant » dans les relations mouvementées de la Turquie avec l'UE. Selon ses journalistes, « les relations entre la Turquie et l'UE vont se tendre, et cette tension pourrait rejaillir sur les relations entre la Turquie et la France ».


10 mai 2007
 : Alain Lamassoure, député européen proche de Nicolas Sarkozy, et secrétaire général de l’UMP sur les questions européennes, s’exprime sur le point de vue du nouveau Président vis-à-vis de la Turquie. Il évoque la ferme volonté de celui-ci : « Nicolas Sarkozy a annoncé pendant la campagne qu'il romprait les négociations avec la Turquie s'il était élu. Il le fera ». Selon lui, un nouvel élargissement serait une « erreur majeure », et les engagements pris par Jacques Chirac en 2006 ne sont pas irrévocables, étant donné que l’adhésion d’un nouvel Etat requiert « l’unanimité ».
En Turquie, on préfère continuer à penser que le discours de M. Sarkozy avait seulement une portée électoraliste. Une fois Président, il pourrait adopter une position plus consensuelle, relançant ainsi le processus d’adhésion, ce qui rappellerait l’attitude d’Angela Merkel lors de son arrivée au pouvoir en Allemagne.


18 mai 2007 : François Fillon, le Premier Ministre nommé par Sarkozy, annonce la composition de son gouvernement. Dans une volonté d’ouverture politique, le socialiste Bernard Kouchner est choisi pour diriger le ministère des Affaires Etrangères. Il est depuis toujours un fervent partisan de la candidature turque, il soutient ouvertement ce « pays d’Islam séculier » dans son processus d’intégration à l’Union Européenne. Selon lui, il ne fait aucun doute que « la Turquie est en Europe » et elle est le seul pays musulman à avoir instauré une séparation durable entre la religion et l’Etat. Certes, Bernard Kouchner convient qu’en « tout état de cause, le processus engagé sera long » mais il semble espérer que le Président de la République changera d'avis. Cette nomination redonne de l’espoir aux milieux pro-européens en Turquie. Cependant, il reste difficile de déterminer quelle sera la marge de manœuvre du Ministre des Affaires Etrangères face à la détermination du Président français.


21 mai 2007 : Jean-Pierre Jouyet, nouveau secrétaire d’Etat aux affaires européennes, dont les opinions en faveur de la candidature turque sont de notoriété publique, se trouve à Bruxelles afin d’assister au conseil des ministres européens chargés de la compétitivité. Invité à se prononcer sur les intentions de la France vis à vis de la Turquie, il reste vague, déclarant seulement que « la position du président de la République est parfaitement claire. Il y a des échéances à venir. Nous y travaillons ». En fait, il refuse de dire si le gouvernement français va bloquer l’ouverture des trois nouveaux chapitres de négociation prévue d’ici la fin de la Présidence allemande.


23 mai 2007 : Nicolas Sarkozy se rend à Bruxelles afin de s’exprimer sur les orientations de sa politique européenne et de relancer le fil de la construction interrompu par le « non » française au référendum sur la Constitution. Le Président déclare “ne pas avoir changé d’avis” sur la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union. Toutefois, il explique que la candidature turque n’est pas le premier sujet à l’ordre du jour du calendrier européen. Bien que selon David Martinon, porte parole du chef de l’Etat “aucune position n’ait été arrêtée”, Nicolas Sarkozy laisse entendre en réalité qu’il ne s’opposera pas à l’ouverture des trois nouveaux chapitres de négociation lors de la rencontre des Vingt-sept le 26 juin, car, explique t’il, « cela donnerait le sentiment que l'on veut bloquer les choses alors que je veux les débloquer ». En effet, le veto français provoquerait une crise majeure, non seulement avec la Turquie, mais aussi avec tous les pays européens favorables à son adhésion et gênerait sans doute l’adoption d’un Traité simplifié destiné à se substituer à la Constitution rejetée par la France et les Pays-Bas.


24 mai 2007 : Ankara regrette l’hostilité française à l’intégration européenne de la Turquie. Selon le gouvernement turc, le statut de la Turquie est sans équivoque : les négociations en cours ont pour seul objectif d’adhésion pleine et entière à l’Union Européenne. Ainsi, selon Ankara, l’alternative d’une Union Méditerranéenne évoquée par le Président française est inacceptable. On apprend, le même jour, que Recep Tayyip Erdogan a téléphoné à Nicolas Sarkozy pour clarifier la situation. Le Premier ministre turc aurait déclaré au Président français : "Nous ne devrions pas communiquer entre nous via les médias. Nous devrions travailler ensemble à travers un dialogue direct". Le ton du Premier Ministre turc révèle une tension palpable dans les relations avec Paris et plus généralement avec Bruxelles.


25 mai 2007 :
Les relations diplomatiques entre la France et la Turquie connaissent une passe difficile. Suite à la conversation téléphonique entre Recep Tayyip Erdogan et Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, conseiller diplomatique du Président français, se rend à Ankara pour s’entretenir avec ses homologues turcs en vue d’une rénovation des relations bilatérales. Cette visite a pour objectif de « trouver un chemin, une façon de travailler avec les Turcs ».
Selon Paris, la priorité est de trouver une solution à la crise institutionnelle que l’Union traverse, ce qui laisse entendre que la question turque ne doit pas venir parasiter le débat actuel sur la proposition de traité simplifié. Le problème de l’adhésion de la Turquie est donc reporté à plus tard.


29 mai 2007 : Lors d’un entretien réalisé par le Figaro, Olli Rehn, le Commissaire européen à l’Elargissement se dit rassuré par le fléchissement de la position de Nicolas Sarkozy concernant l’entrée de la Turquie dans l’Union. Il déclare que le Chef de l’Etat français « fait preuve d’une attitude responsable ». Selon lui, les négociations doivent se poursuivre et « la décision finale sur l'adhésion de ce pays ne doit être prise qu'en toute fin de processus ». Enfin, il réitère une nouvelle fois la volonté de l’UE de tenir ses promesses vis-à-vis de la candidature turque.


 5 juin 2007 : Dans une interview au quotidien turc « Zaman », le commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, Louis Michel, se déclare convaincu que le Président français, Nicolas Sarkozy, va laisser se poursuivre les négociations avec la Turquie et permettre l’ouverture des trois nouveaux chapitres de ce processus à la fin du mois de juin. « Bien sûr, je ne peux pas vous garantir absolument ce que fera le Président français mais je peux vous assurer que, pour ma part, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que les négociations continuent. Je crois fermement que l’avenir de la Turquie est au sein de l’UE. », a déclaré notamment Louis Michel.


6 juin 2007 : Dans une interview au journal « Le Monde », Pierre Lellouche, député UMP de la 4ème circonscription de Paris, interrogé sur le désaccord existant entre Nicolas Sarlozy et son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, sur la candidature turque à l’UE, répond : « Le Président de la République est le responsable de la politique étrangère de la France, le ministre s’exécute. C’est la règle de la Cinquième République, quel que soit le Président, de droite ou de gauche. Bernard Kouchner le sait. »


7 juin 2007 : Dans une interview au quotidien français « Le Figaro » à l’occasion de laquelle il lui ait demandé s’il a changé d’avis sur la candidature turque à l’UE, Nicolas Sarkozy répond : « Ma priorité en Europe est d’obtenir le traité simplifié. Mais si je pose, en même temps, la question de la Turquie, il n’y aura pas de traité simplifié. Je n’ai pas changé d’avis : la Turquie n’a pas sa place en Europe. Mais le rendez-vous est en décembre, pas en juin. J’ai engagé des discussions avec le premier ministre turc, M. Erdogan, pour lui faire comprendre que ma position n’était en rien dirigée contre les Turcs mais qu’elle concernait la question essentielle des frontières de l’Europe. Après le Conseil européen de juin, je proposerai une stratégie qui permettra de trouver une voie pour ne pas casser l’Europe et, en même temps, ne plus continuer sur la stratégie de l’adhésion. »

 

13 juin 2007 : Nicolas Sarkozy a laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à l’ouverture lors du sommet du 26 juin de trois nouveaux chapitres de négociation. Cependant, la France se montre défavorable au lancement du chapitre sur l’Union économique et monétaire. Par le biais de ses représentants à Bruxelles, le gouvernement dénonce l’inopportunité d’un tel débat dans l’état actuel du processus d’adhésion, "il serait donc peu cohérent d'accepter de parler de la monnaie unique, si le pays candidat n'a pas vocation à rejoindre l'Union européenne", explique un expert français. Il serait donc trop tôt pour évoquer l’introduction de l’Euro. Mais l’intention sous-jacente des autorités françaises est la réorientation des négociations vers un accord de partenariat privilégié avec la Turquie. A quelques jours du sommet du 26 juin, ce nouveau raidissement remet en question l’issue de la candidature turque.

Jean Marcou et Cécile Nourigat
Juin 2007


© 2007 L. Schirmeyer