Les relations de la Turquie avec le monde arabe
Accueil
Édito
Blog
Système Politique Turc
Publications
Séminaires
Colloques
Newsletter
Archives
Liens
Contact

 

 

La Turquie entretient avec le monde arabe une relation difficile trop souvent nourrie de malentendus, ce qui, à certains égards, rappelle de façon inversée le rapport complexe qu’elle peut avoir avec le monde occidental. Pourtant, alors même que leurs liens avec les Occidentaux s’amélioraient sensiblement, les Turcs, en dépit d’une communauté de religion et de culture, n’ont cessé de s’éloigner des Arabes depuis le début du XXème siècle. L’origine de ce divorce contemporain d’avec l’Orient remonte à la Première guerre mondiale lorsque les Arabes soutenus par les Britanniques se soulevèrent contre l’Empire Ottoman dans l’espoir d’accéder à l’indépendance. Par la suite, la trajectoire stratégique des Turcs et des Arabes fut quasiment systématiquement opposée tout au long du XXème siècle. Dans l’Entre-deux-guerres, tandis que l’abolition du Califat et les réformes laïcistes contribuaient à couper les Turcs du reste du monde musulman et que la République de Mustafa Kemal conduisait une politique anti-impérialiste destinée à garantir son indépendance nationale, les peuples arabes se retrouvaient en fait sous la dépendance des pays européens vainqueurs de la Première guerre mondiale. À l’issue de la Seconde guerre mondiale, au contraire, alors même que les peuples arabes cherchaient à s’émanciper des puissances coloniales, tout en ralliant le mouvement des non-alignés et en nouant pour certains d’entre eux des relations d’amitiés avec l’Union soviétique, la Turquie se rangeait résolument du côté des Occidentaux en reconnaissant l’État d’Israël, en entrant dans l’OTAN, en participant au Pacte de Bagdad et plus tard en signant un accord d’association avec l’Europe.

Sur un plan plus idéologique, au cours de la même période, Turcs et Arabes semblent avoir cultivé les occasions manquées de se rencontrer. Si le progressisme et l’anti-impérialisme du kémalisme avaient de quoi séduire les nationalistes arabes, le laïcisme turc allait trop loin pour des Arabes voyant dans l’islam un élément essentiel de leur identité. Certes, l’adhésion de la Turquie à l’Organisation de la conférence islamique en 1969, lors de sa création, et la politique de rapprochement turco-arabe de Turgut Özal (qui fera à cette époque le pèlerinage à La Mecque) contribuera à réchauffer l’atmosphère sans jamais parvenir à établir de vraies relations de confiance.

Plus récemment, la montée en force de l’islamisme en Turquie a certes été souvent ressentie comme un retour des Turcs vers l’Orient mais les réactions arabes aux récentes expériences islamistes turques ont confirmé le caractère erroné de ce type d’analyse. Dans les années 90, la dimension très nationaliste pour ne pas dire ottomaniste du discours du Refah a éveillé la méfiance des mouvements musulmans fondamentalistes et l’accession de Necmettin Erbakan aux fonctions de Premier ministre en 1996 n’a pas déchaîné l’enthousiasme de ces derniers. Quant à l’ultime avatar de la mouvance islamiste turque que constitue la victoire de l’AKP aux élections législatives de novembre 2002, il est accueilli avec beaucoup de circonspection dans le monde arabe. Certes, les milieux libéraux et les franges les plus ouvertes des mouvements islamistes observent avec intérêt l’épopée gouvernementale de Tayyip Erdogan mais, pour beaucoup d’autres secteurs des sociétés arabes, ces dirigeants turcs qui se démarquent de leur islamisme originel en prônant une stratégie d’intégration européenne sont suspects et ne sont que les épouvantails d’un pays à qui l’on reproche d’être resté à bien des égards le cheval de Troie des Américains au Proche-Orient.

Le gouvernement de l’AKP n’a d’ailleurs pas remis en cause les relations privilégiées qu’Ankara entretient avec Washington et Tel Aviv depuis plus d’un demi siècle. L’aurait-il voulu qu’il ne l’aurait pas pu, tant cette orientation fait désormais partie du socle même de la République laïque ? Certes, les déséquilibres provoqués dans la région par l’intervention américaine en Irak conduisent parfois Turcs et Arabes à partager objectivement les mêmes intérêts. Ainsi, les voit-on tenter en vain de ramener l’allié américain à la raison ou se déclarer opposés à une partition de l’Irak. Mais une même stratégie peut avoir des justifications différentes et si, derrière les préoccupations arabes on retrouve une crainte de la montée en force du monde chiite, les angoisses turques sont, elles, beaucoup plus nationalistes (risque de création d’un Kurdistan indépendant ayant des ambitions irrédentistes). Plus que jamais la relation turco-arabe reste donc particulièrement complexe.

 

Jean Marcou

Mars 2007

 

 

                                

 


© 2007 L. Schirmeyer