Symposium international « islam et libéralisme »
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Compte rendu du Symposium international « islam et libéralisme »
Université du « Dokuz Eylül »
Izmir, 2 et 3 novembre 2006
Coorganisateurs : Artmer, FASOPO, IFEA

par Jean Marcou

Qui l’eut cru il y a encore quelques années lorsqu’on vantait le caractère social de l’islam chez qui certains allaient même jusqu’à voir un ferment de socialisme, islam et libéralisme font désormais bon ménage ! C’est en tout cas l’un des enseignements majeurs qu’on retiendra de ce symposium qu’organisait l’Université du « Dokuz Eylul » d’Izmir en coopération avec son centre de recherche européen « Artmer », le Fonds d’Analyse des Sociétés Politiques (FASOPO) de Sciences Po Paris et l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) d’Istanbul. Cette manifestation s’articulait autour des trois ateliers suivants :
- Le couple « islam politique et libéralisme » ;
- Islam et Politique à la lumière des expériences de différents pays ;
- L’islam et l’établissement d’une société démocratique.

1- Le couple « islam politique et libéralisme »
Après les traditionnels discours d’accueil et de bienvenue, c’est à Patrick Haenni, chercheur au CEDEJ du Caire, que revenait l’honneur d’ouvrir ce symposium pour évoquer les liens entre l’Economie de marché et l’islam à la lueur pour l’essentiel des développements récents de l’expérience égyptienne. Ce jeune chercheur suisse a observé au cours de la dernière décennie une certaine usure des mouvements islamistes qui conduit à la recherche d’autres formes d’islamisme. « On quitte désormais la scène politique, dit-il, pour s’intéresser au champ économique », un secteur où règne un système de valeurs proche de celles du libéralisme (concurrence, recherche de l’excellence, quête de la réussite individuelle…). Patrick Haenni a analysé cet embourgeoisement de l’islamisme à partir de plusieurs exemples observés en Égypte mais aussi dans les communautés musulmanes européennes : le développement de groupes « branchées » de musique « nashid » qui essayent de chasser sur les terres des groupes de rock anglo-saxons, la montée en force du « griffé » islamique qui s’intéresse peu à la confection de voiles ou de vêtements traditionnels mais préfère produire des habits à la mode, la multiplication des prédicateurs (comme Amr Khaled) qui s’inspirent des prêches télévisés des évangélistes américains. Pour Patrick Haenni, tous ces phénomènes frappent par leur capacité à absorber les valeurs et les stratégies du capitalisme contemporain. En dépit de leur caractère religieux non dissimulé, ils ne tournent pas le dos au libéralisme occidental mais se nourrissent de ses principaux acquis .
Abordant l’exemple turc, Mustafa Sen de l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara s’est intéressé, quant à lui, aux liens entre islam et néo-libéralisme. « Ces liens, estime-t-il, s’inscrivent dans la longue tradition de la synthèse turco-islamiste qui remonte au 2ème Mesrutiyet (1908-1913) ». De longue date, les acteurs politiques turcs ont cherché dans la religion musulmane une légitimation aux importations d’essence libérale qu’ils réalisaient. Mustafa Sen rappelle comment après le coup d’Etat de 1980, cette idée a marqué la stratégie des militaires dans leurs velléités de réformer radicalement la société turque et surtout comment elle a influencé par la suite les politiques néo-libérales conduites par Turgut Özal, le Président croyant qui prétendait libéraliser la Turquie étatiste. Pour conclure, Mustafa Sen a voulu aussi observer ce phénomène dans le contexte actuel, par des exemples concernant l’AKP (Adalet ve kalkinma Partisi – Parti de la Justice et du développement) et l’Association des patrons turcs musulmans (MÜSIAD).
Ayse Bugra, de l’Université du Bosphore d’Istanbul est repartie, pour sa part, du discours de l’AKP sur la pauvreté pour d’analyser les liens entre ce parti, le libéralisme et les politiques sociales (dont elle est l’une des spécialistes les plus éminentes en Turquie). Pour elle, la charité et les activités de bienfaisance, dont l’AKP a fait son cheval de bataille, témoignent du changement de nature de la citoyenneté en Turquie. Finie la citoyenneté républicaine où une élite éclairée prétendait éduquer le peuple, la citoyenneté contemporaine se nourrit d’un schéma libéral où la résolution des problèmes sociaux passe par l’initiative et l’action sur le terrain d’associations et d’organisations non gouvernementales. Comme Mustafa Sen, Ayse Bugra montre que le phénomène n’est pas nouveau en trouvant des affinités à la « charité » de l’époque ottomane et à celle de l’AKP.

2- Islam et Politique à la lumière des expériences de différents pays
Ouvrant ce second atelier sur le cas iranien, Jean-François Bayart du CERI de Sciences Po Paris refuse de le qualifier de libéral pour estimer qu’il est « thermidorien ». « Thermidor, explique-t-il, ce n’est pas la fin de la Révolution, pas plus que le triomphe de la modération, c’est en fait le moment où une classe politique issue de cette Révolution doit gérer la rupture qu’elle a provoquée et assurer sa pérennisation». Telle est bien la question qui se pose aujourd’hui aux gouvernants iraniens qui ne sont en rien tentés par le libéralisme mais qui au contraire ont tendance à maintenir certains des acquis de la période du Shah (dirigisme, centralisation…). Pour Jean-François Bayart, ce constat montre que l’Iran d’Ahmadinejab se nourrit plus de nationalisme que de libéralisme, ce que confirme encore l’absence d’IDE dans ce pays et les difficultés qu’il rencontre pour s’insérer dans la mondialisation.
Rappelant le cheminement de l’islam politique en Turquie en partant du Milli Selamet Partisi (MSP) pour aller jusqu’au Fazilet Partisi (FP) en passant par le Refah Partisi (RP) et sans s’interdire quelques remarques sur la situation actuelle créée par la victoire sans appel de l’AKP en 2002, Alexandre Toumarkine de l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul (IFEA), a montré que les islamistes turcs ne sont venus que progressivement au libéralisme. Dans les années 70 d’ailleurs, le MSP, craignant les effets de l’économie de marché européenne sur les entreprises turques, souhaitait avant tout promouvoir, en Turquie, une économie nationale basée sur l’industrie lourde. Ainsi, il entra dans le gouvernement de gauche de Bülent Ecevit, en 1974, mais il est vrai qu’il n’hésita pas par la suite à changer de camp pour s’allier au Parti de la Justice de Suleyman Demirel. Après le coup d’Etat de 1980, si dans un premier temps, le Refah de Necmettin Erbakan n’eut de cesse de dénoncer les inégalités engendrées par le néo-libéralisme du gouvernement Özal en appelant à la création d’un « ordre juste », son discours changea à partir du moment où il se retrouva en position d’exercer le pouvoir. Dès lors, les critiques contre le FMI et l’Union Européenne cessèrent et le libéralisme devint en quelque sorte un instrument nécessaire pour les islamistes.
Pour Béatrice Hibou du CERI de Sciences Po Paris qui analysait le cas tunisien, il n’y a pas de déterminisme entre islamisme et libéralisme. Le régime tunisien actuel est connu pour son anti-islamisme et la répression que cela entraîne. Pour autant on n’a pas l’impression qu’une différence de fond existe entre le discours officiel et celui de l’opposition islamiste. L’un comme l’autre apparaissent très attachés à l’étatisme et à une modernisation dans le respect de l’identité musulmane du pays. Car le développement économique que connaît actuellement la Tunisie n’a rien à voir avec le libéralisme. Les privatisations notamment n’empêchent pas l’Etat de tenir l’ensemble du système et il faut bien reconnaître que beaucoup d’investisseurs étrangers apprécient cet autoritarisme qui est facteur pour eux de sécurité et de stabilité.
Ibrahim Kaya de l’Université de Dunlupinar-Küthaya devait terminer la première journée de ce symposium en envisageant les liens entre islam et modernisme. Il s’attacha surtout à montrer que le modernisme et l’islam sont des projets reposant sur des interprétations plurielles.

3- Islam et établissement d’une société démocratique
Chargé de renouer le fil de la réflexion entamée le premier jour, Romain Bertrand du CERI de Sciences Po Paris allait, au début de ce troisième atelier, entraîner les participants de ce symposium vers l’Asie du Sud-Est pour évoquer l’épopée de deux partis politiques d’inspiration islamique, le Masjumi d’Indonésie et le PAS de Malaisie. « Dans les deux cas, déclare-t-il, on est en présence de formations qui, après une époque où elles furent séduites par le socialisme ou tout au moins par la social-démocratie, ont opté pour une stratégie islamisante voire franchement islamiste. » Il ne s’agit pas là d’un phénomène conjoncturel mais d’un processus de fond qui a vu la composition sociale de ces partis se transformer profondément et délaisser un recrutement au sein d’un milieu exclusivement issu de la fonction publique pour s’embourgeoiser et défendre des valeurs plus conservatrices.
Revenant sur l’exemple turc, Bahattin Aksit de l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara, a analysé les résultats d’une enquête conduite pour le compte de TÜBITAK et a pu mettre ainsi en exergue le poids des ONG islamisantes dans la société civile turque contemporaine.
Menderes Cinar de l’Université de Baskent à Ankara s’est intéressé, lui, aux causes et aux limites de l’islamisme turc. Son intervention a souvent fait écho à celle que Mustafa Sen avait faite la veille et a montré comment la mouvance islamiste turque avait été gagnée par une forme de libéralisme, en tout cas par une demande de moins d’Etat.
Enfin, Aysen Uysal de l’Université du Dokuz Eylul a clos ce symposium en analysant les résultats d’une enquête sur les manifestations en Turquie, qui montre entre autres qu’il y a dans ce pays apparemment beaucoup plus de manifestations de gauche que de manifestations islamistes ou d’essence religieuse.


© 2007 L. Schirmeyer