Collectivités territoriales en Turquie (Hande Tek)
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Les collectivités territoriales

par Hande Tek


La Turquie dispose d’une administration
territoriale très structurée dont les fondements remontent à l’Empire ottoman. Machiavel, dans le Prince, observait non sans une certaine admiration le système de relais établi par le Sultan pour contrôler son territoire tout en pointant d’ailleurs les lacunes de cette organisation. Ces faiblesses s’étant confirmées dans le contexte de la décadence de l’Empire, les élites ottomanes réformatrices, par la « loi sur les Vilayets » en 1864, décidèrent d’importer le système départemental et préfectoral français.


Cette importation suscita des réactions. Au début du XXème siècle notamment, l’administration territoriale de l’Empire fut l’objet d’un débat important au sein du mouvement Jeunes-Turcs qui était encore clandestin. Deux tendances s’affrontèrent, celle du mouvement « Union et Progrès » qui défendait l’idée d’un Etat-Nation turc et prêchait pour la centralisation., celle du Prince Sabahaddin qui appelait de ses vœux l’avènement d’une Fédération ottomane respectueuse des particularismes territoriaux. Mais, après la Révolution Jeunes-Turcs, c’est la première tendance qui l’emporte et qui va s’employer à parfaire la réforme des Vilayets en reprenant par une loi de mars 1913, la fameuse loi française de 1871 sur les départements. Rappelons que ce dernier texte jeta en France les bases d’une administration territoriale à deux niveaux (département, commune), disposant de conseils élus (conseils municipaux et généraux) et articulée autour du dédoublement fonctionnel du préfet, ce dernier étant à la fois le représentant de l’Etat et l’exécutif du département. Cette organisation, qui resta en vigueur pour l’essentiel jusqu’à la réforme de décentralisation de Gaston Defferre en 1982, demeure le fondement du système territorial de la République turque contemporaine puisque, dès la Constitution provisoire de 1921, Mustafa Kemal décida de reprendre l’organisation administrative établie par la loi de 1913 qui s’est maintenue depuis tout en subissant, comme il se doit, un certain nombre d’aménagements.


La Turquie dispose d’une administration territoriale très structurée dont les fondements remontent à l’Empire ottoman. Machiavel, dans le Prince, observait non sans une certaine admiration le système de relais établi par le Sultan pour contrôler son territoire tout en pointant d’ailleurs les lacunes de cette organisation. Ces faiblesses s’étant confirmées dans le contexte de la décadence de l’Empire, les élites ottomanes réformatrices, par la « loi sur les Vilayets » en 1864, décidèrent d’importer le système départemental et préfectoral français.
Cette importation suscita des réactions. Au début du XXème siècle notamment, l’administration territoriale de l’Empire fut l’objet d’un débat important au sein du mouvement Jeunes-Turcs qui était encore clandestin. Deux tendances s’affrontèrent, celle du mouvement « Union et Progrès » qui défendait l’idée d’un Etat-Nation turc et prêchait pour la centralisation., celle du Prince Sabahaddin qui appelait de ses vœux l’avènement d’une Fédération ottomane respectueuse des particularismes territoriaux. Mais, après la Révolution Jeunes-Turcs, c’est la première tendance qui l’emporte et qui va s’employer à parfaire la réforme des Vilayets en reprenant par une loi de mars 1913, la fameuse loi française de 1871 sur les départements. Rappelons que ce dernier texte jeta en France les bases d’une administration territoriale à deux niveaux (département, commune), disposant de conseils élus (conseils municipaux et généraux) et articulée autour du dédoublement fonctionnel du préfet, ce dernier étant à la fois le représentant de l’Etat et l’exécutif du département. Cette organisation, qui resta en vigueur pour l’essentiel jusqu’à la réforme de décentralisation de Gaston Defferre en 1982, demeure le fondement du système territorial de la République turque contemporaine puisque, dès la Constitution provisoire de 1921, Mustafa Kemal décida de reprendre l’organisation administrative établie par la loi de 1913 qui s’est maintenue depuis tout en subissant, comme il se doit, un certain nombre d’aménagements.

1. Le cadre juridique et institutionnel de l’administration territoriale turque
L’administration locale en Turquie est régie par les articles 123 (relatif à l’unité de l’administration), 126 (relatif à l’administration centrale) et 127 (relatif aux collectivités locales) de la Constitution turque de 1982. Par ailleurs, les compétences et les responsabilités des collectivités locales sont organisées par la loi conformément au principe de décentralisation. Dans l’ensemble, comme nous le disions précédemment, cette organisation rappelle beaucoup, à quelques exceptions près, le système administratif français départemental, issu de la loi de 1871.
L’organisation territoriale de l’administration turque repose, en effet, sur les principes de centralisation et d’administration locale s’inscrivant principalement dans une logique de déconcentration. Deux types d’administration sont ainsi présents sur le territoire turc : l’administration d’Etat et l’administration locale.
L’administration d’Etat turque est articulée autour de deux niveaux : les provinces (il) et les arrondissements (ilçe). Elle se compose de préfectures (valilik), de sous-préfectures (kaymakamlik) et des directions territoriales des ministères présents sur le territoire. Les préfets (vali) administrent les provinces et les sous-préfets (kaymakam), les arrondissements. Les uns et les autres sont bien sûr nommés par l’Etat. À l’heure actuelle, il y a en Turquie 81 provinces (il) et 923 arrondissements (ilçe). Signalons aussi que la province sert de circonscription électorale pour l’élection des députés de la Grande Assemblée Nationale de Turquie.
L’administration locale, quant à elle, se subdivise en 3 niveaux : les administrations spéciales de la Province (il özel idaresi), en théorie, indépendantes du pouvoir central mais concrètement placées sous l’autorité du préfet, les communes (belediye) dirigées par le maire et les administrations de village (köy) dirigées par le chef ou maire de village (muhtar). Pourtant, les communes ont acquis récemment plus d’importance avec les progrès de l’urbanisation. C’est ce qui explique que, dans certaines grandes villes, il existe désormais un niveau administratif supérieur, appelé « municipalité métropolitaine » (büyük sehir belediyesi). Il y a actuellement, en Turquie, 16 municipalités métropolitaines, 3 225 municipalités et environ 35 000 villages.
Par ailleurs, la Turquie est divisée en 7 régions géographiques n’ayant pas de statut administratif. Autrement dit, il s’agit de régions naturelles de grandes dimensions, comparables à celles qui sont souvent enseignées aux lycéens turcs dans les cours de géographie. Mais elles ne disposent pas de structures institutionnelles propres. Il faut signaler aussi que les ministères possèdent parfois des circonscriptions régionales (en tout cas des circonscriptions plus larges que la simple province) mais elles ne coïncident pas toujours entre elles, un peu comme cela se passait en France dans les années 1950-60, avant la mise en place de véritables régions.

2. L’organisation des collectivités locales
L’organisation territoriale turque apparaît donc comme un système obéissant à une logique qui est plus de déconcentration que de décentralisation. Toutefois, bien que très contrôlées par le pouvoir central, des collectivités locales, disposant d’assemblées élues au suffrage universel, existent. Au Moyen-Orient, le fait mérite d’être signalé notamment parce que, lorsque l’on observe le monde arabe voisin, par exemple, on s’aperçoit que ce genre d’institutions est totalement inconnu et fait souvent cruellement défaut. Pour clarifier la structuration institutionnelle des collectivités locales turques, nous proposons ci-dessous un schéma illustratif qui sera complété par quelques remarques analytiques.

  COMMUNE ADMINISTRATION SPECIALE DE PROVINCE VILLAGE
CHEF
Maire
Préfet / Gouverneur
Chef du village
ORGANE DELIBERANT
Conseil municipal

Conseil provincial

Conseil de village
ORGANE EXECUTIF
Comité exécutif

Comité exécutif
Comité exécutif

Nous sommes là dans un système décentralisé parce que ces institutions locales, à l’exception du Préfet, ne sont pas nommées mais pour l’essentiel élues par les citoyens. Les élections locales concernent de fait les maires, les chefs de village (muhtar), les conseils municipaux et les conseils provinciaux. Le système électoral est basé sur le principe du suffrage universel, les élections sont libres et à un tour de scrutin, le mandat d’élu local au niveau municipal ou provincial est de 5 ans. Dans la mesure où ces élections locales sont organisées de façon regroupée à la même date, il arrive que l’électeur soit amené à déposer dans l’urne, quatre ou cinq bulletins différents, un pour le Maire, un pour le Conseil municipal, un pour le Conseil provincial, un pour le chef de village et dans les grandes villes, un pour le Maire de métropole. Cette remarque permet aussi de faire observer qu’en Turquie, les maires de commune (belediye baskani) sont élus au suffrage universel, comme d’ailleurs les maires de métropole, de quartier ou de village (muhtar).

3. Mutations en cours et réformes récentes
Le processus d’intégration européenne a donné une nouvelle impulsion politique à la Turquie, accentuant la nécessité de revoir la conception existante de l’administration locale. Après plusieurs années d’incertitudes et d’hésitations des gouvernements successifs, la réforme des collectivités locales et de l’administration publique turque expérimente actuellement de nouvelles pratiques pour répondre aux exigences européennes.
La victoire électorale de l’AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi - Parti de la Justice et du Développement), en novembre 2002, a ouvert une « fenêtre d’opportunité politique » car jusqu’à cette date, le gouvernement n’avait pas de majorité stable au Parlement turc, ce qui gênait l’avènement d’une volonté politique susceptible de promouvoir une réforme véritable de l’administration locale et régionale. De fait, une série de lois a été adoptée, depuis 2004, ayant notamment pour objet de renforcer la décentralisation ou de redistribuer plus rationnellement les compétences entre les services de l’Etat et les collectivités locales. Dans ce cadre, le nouveau gouvernement de l’AKP n’a pas hésité à afficher un programme fortement décentralisateur qui a provoqué l’apparition de deux camps dans la classe politique turque. Ces deux tendances s’affrontent désormais régulièrement lorsque sont en jeu des questions touchant à la répartition des compétences entre les collectivités locales et le gouvernement central. Pour le gouvernement de l’AKP qui les soutient, en premier lieu, ces lois, malgré leurs insuffisances voire leurs lacunes, vont créer une structure plus transparente, plus participative et plus démocratique. Mais, en second lieu, pour l’opposition regroupée en particulier autour du CHP (Cumhuriyet Halk Partisi- Parti Républicain du Peuple), des syndicats et de certaines ONG, l’initiative prise par le gouvernement est dangereuse. En effet, si ce second camp accepte la nécessité d’une réforme de l’administration publique territoriale, il estime que les solutions proposées, comme par exemple, l’adoption du principe de subsidiarité, risquent d’être incompatibles avec la structure unitaire de l’Etat turc. Le Président de la République a, pour sa part, été amené à mettre son veto à certaines des réformes évoquées plus haut en insistant sur l’impact néfaste qu’elles pourraient avoir sur l’unité de la République. Il a, en particulier, jugé potentiellement inconstitutionnel certains transferts de compétences aux collectivités locales et dénoncé les risques présentés par un service public partiellement assumé par des acteurs privés.
Par ailleurs, la classification européenne dite de la « Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques (NUTS) » a été instaurée en 2002 en Turquie suscitant, bien qu’elle n’ait qu’un caractère statistique, des débats houleux car étant perçue par certains comme la première étape d’un véritable processus politique de régionalisation. Rappelons que NUTS est une classification établie selon une hiérarchie distinguant 5 niveaux (3 niveaux régionaux et 2 niveaux locaux) et que la Commission européenne se sert du système NUTS à trois niveaux : NUTS 1 désigne les zones régionales disposant de la puissance économique, NUTS 2 renvoie plutôt à des unités de la taille du département ou de la province et NUTS 3 répertorie les unités administratives au niveau rural. La nécessité d’établir des régions NUTS 2 en Turquie a été satisfaite par la création de 26 nouvelles régions statistiques. Ces 26 nouvelles régions NUTS 2 regroupent les 81 provinces en fonction de leurs affinités géographiques, démographiques et économiques.
Le résultat le plus concret de ces initiatives récentes est la création « d’ Agences de développement régional » agissant dans le cadre des 26 régions NUTS 2. Vecteur d’une régionalisation de la planification en Turquie, ces Agences apparaissent, eu égard au projet de loi qui leur est consacré, comme un aménagement institutionnel ménageant les exigences de l’Union européenne en matière de développement régional, d’une part, et les réticences « domestiques » à s’engager dans une vraie décentralisation, d’autre part.
Les objectifs assignés à ces agences rejoignent les prescriptions de l’Union européenne et s’inspirent du principe de partenariat (même s’il n’est pas nommé ainsi) qui est depuis 1993 au cœur de la mise en œuvre des politiques régionales communautaires. En réalité, on observe qu’avec l’installation d’un échelon de gestion intermédiaire entre le niveau national et le niveau local, la planification cesse d’être totalement centralisée puisque qu’un système à deux étages est instauré. Le niveau du Ministère de l’intérieur se voit confier la coordination, la supervision et l’évaluation des plans régionaux tandis que les nouvelles Agences régionales reçoivent le rôle de coordonner l’ensemble des acteurs locaux pour l’élaboration et la mise en œuvre des plans régionaux. Toutefois, le fait que ces Agences restent dépendantes du Plan National (DPT) réduit malgré tout la portée de cette décentralisation du système territorial turc.

1) 5227 (relative aux principes essentiels et à la reconstruction de l'Administration publique) ; 5393 (relative à la municipalité) ; 5216 (relative à la municipalité métropolitaine) ; 5302 (relative à l’administration spéciale de la province) ; 5018 (relative au contrôle et à la gestion du financement public) ; 5355 (relative à l'Union des collectivités locales) ; 5449 (relative aux Agences de développement régional)


Annexe : Les récentes réformes des collectivités territoriales en Turquie

La réforme de l'Administration publique (La situation actuelle des dernières lois en terme d'application)
Numéro Loi Date d'approbation Situation actuelle
5227 relative aux principes essentiels et à la reconstruction de l'Administration publique 15/07/2004 Elle n'est pas en vigueur et elle ne figure pas non plus à l’ordre du jour de l'Assemblée Nationale
5215 relative à la municipalité (nouveau) 09/07/2004 A la suite d’un veto, elle a été renvoyée à l'Assemblée
5272 relative à la municipalité 01/12/2004 A la suite d’un veto, elle a été renvoyée à l'Assemblée
5393 relative à la municipalité 03/07/2005 Elle est en vigueur
5216 relative à la municipalité métropolitaine 10/07/2004 Elle est en vigueur
5197 relative à l'administration spéciale de la province 10/07/2004 A la suite d’un veto, elle a été renvoyée à l'Assemblée
5302 relative à l'administration spéciale de la province 22/02/2005 Elle est en vigueur
5018 relative au contrôle et à la gestion du financement public 10/12/2003 Elle est en vigueur
5355 relative à l'Union des collectivités locales 26/05/2005 Elle est en vigueur
5449 relative aux Agences de développement régional 25/01/2006 Elle est en vigueur



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