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Avril-Mai 2007 / L'élection présidentielle en Turquie : les raisons de la crise

Ahmet Necdet Sezer, qui était président de la Cour constitutionnelle avant de devenir le 10ème Président de la République de Turquie, a déclaré, lors d’un discours à l'Académie militaire, que « depuis la création de la République, le régime politique en Turquie, n'a jamais été autant en péril qu'il ne l'est aujourd'hui. Pour la première fois, les valeurs fondamentales de la République laïque, sont ouvertement remises en cause. Des forces, à l'intérieur du pays et à l'étranger, agissent de concert, en poursuivant les mêmes objectifs et selon lui les mêmes intérêts. (« Türkiye'de siyasal rejim, Cumhuriyet kuruldugundan beri, hiçbir dönemde günümüzde oldugu kadar tehlikeyle karsi karsiya kalmamistir. Laik Cumhuriyet'in temel degerleri ilk kez açikça tartisma konusu yapilmaktadir. Iç ve dis güçler, bu konuda ayni amaç dogrultusunda çikar birligi içinde hareket etmektedir. », 14 avril 2007, trancription complète à http://www.radikal.com.tr/haber.php?haberno=218315).


En quelques jours, les médias, le général Yasar Büyükanit, ainsi que les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté pour une Turquie laïque sur la place Tandogan à Ankara, ont réussi à dissuader Recep Tayyip Erdogan de présenter sa candidature au Palais présidentiel. Pourtant, Erdogan se disait en mesure de faire élire le Président grâce aux 350 sièges dont dispose l'AKP au parlement (TBMM), sans répondre à l'appel de Deniz Baykal, leader de l'opposition, en faveur d'une élection concertée, acceptant un candidat AKP mais excluant celle d'Erdogan. C'est donc le ministre des Affaires étrangères qui, finalement, sera présenté comme le candidat AKP. Le débat n'est pas clos. La candidature d'Abdullah Gül, une figure sur laquelle un compromis aurait pu être construit, ne fait pas l'unanimité. Le CHP se prépare à saisir la Cour constitutionnelle. Des représentants d'associations et des universitaires continuent à s'insurger contre un candidat AKP à Çankaya. La manifestation à Istanbul semble même avoir dépassé celle du 14 avril à Ankara (Tandogan) en nombre. L'opposition de droite (ANAP et DYP) adopte un ton dur à l'encontre d'Abdullah Gül, bien que ce dernier ait ouvertement sollicité leurs soutiens. Bien des questions se posent donc en terme de légitimité politique dans l'élection du 11ème Président de la République de Turquie.



Une majorité AKP dans un parlement (TBMM) minoritaire


La date du 2 novembre 2002 est un tournant historique pour l'islam politique en Turquie. Elle est l'aboutissement de cinquante ans de lutte entre les institutions et courants laïques d'un côté, et les résistances islamiques de l'autre. Les performances du Refah lors des élections municipales du 27 mars 1994 annoncaient la victoire de 1995, et l'accession d'Erbakan à la charge de Premier ministre jusqu'au 28 février 1997, date à laquelle les autorités militaires se sont sentis obligées de faire un rappel à l'ordre sur les principes laïques de la République de Turquie.


Dix ans plus tard, Recep Tayyip Erdogan, issu du courant Milli Görüs (créé en 1969), membre actif du Milli Selamet Partisi (1972), puis maire Refah de Beyoglu et de la mairie métropolitaine d'Istanbul (le 27 mars 1994), est à la tête d'un parti qui détient une majorité confortable au TBMM, et est sur le point de placer celui qu'il appelle son “frère”, Abdullah Gül, au trône présidentiel, à Çankaya. Les différents partis qui ont permis à Recep Tayyip Erdogan et Abdullah Gül (tous créés par Erbakan) de construire leur identité politique, tout au long de leurs parcours ont tous été interdits par la Cour constitutionnelle, pour opposition aux principes laïques de la République. L'AKP a été créé par Abdullah Gül et ses proches, pendant que Recep Tayyip Erdogan purgeait une peine de prison (1999) d'un an, pour avoir tenu un discours qui “encourage ouvertement la population à l'hostilité selon des arguments religieux” (Art. 317 alinéa 2 de la Constitution, “halki din ve dil farkliligi gözeterek kin ve düsmanliga açikça tahrik ettigi”). Or c'est ce même parti AKP qui détient 64% des sièges au TBMM, grâce aux 34,43% des voix qu'il a obtenues aux dernières élections législatives du 2 novembre 2002.


Parti

Nombre de voix

Nombre de siège au TBMM

Pourcentage des voix (valablement) exprimées

(Total : 31.510.007)

AKP

10.848.704

365

34,43 %

CHP

6.114.843

177

19,41 %

Députés autonomes (DA)

302.801

8

1 %

DYP

3.004.949

0

9,54 %

MHP

2.629.808

0

8,35 %

GP

2.284.644

0

7,25 %

DEHAP

1.933.680

0

6,14 %

ANAP

1.610.207

0

5,11 %

SP

784.087

0

2,49 %

DSP

383.609

0

1,22 %

http://www.belgenet.net


Depuis 2002, il y a eu de nombreux transferts entre les partis au sein du TBMM. La répartition des sièges s'en est trouvée modifiée :


Parti

Nombre de sièges

Parti

Nombre de sièges

AKP

353

HYP

1

CHP

152

SHP

1

ANAP

20

GP

1

DYP

4

DA

10

Le TBMM est composé de 550 sièges.


Depuis 2003, les décès, les annulations de mandat pour corruption, ou encore le départ de représentants, comme Kemal Dervis, à la tête du programme de développement des Nations-Unies, ont libérés 8 sièges. Les députés ne sont pas remplaçés et leurs sièges demeurent vides jusqu'aux prochaines élections.


Le 26 avril 2007, le CHP et l'AKP perdent chacun un siège. Depuis 2002, nombre de députés ont quitté les deux seuls partis représentés au TBMM, pour soit créer un nouveau parti, soit rejoindre un parti existant, mais en dehors du TBMM (qui de ce fait accèdent au TBMM). Ainsi, le tableau ci-dessus montre les partis représentés au TBMM par des députés qui ont quitté l'AKP et le CHP, pour porter les couleurs d'autres partis au sein du TBMM.


Selon les performances de 2002, l'AKP a un peu plus de 10 millions de voix, soit 34% des voix exprimées. Sur le nombre total des électeurs, soit 41.407.015 personnes inscrites, cela ne représente 26%.


Autre argument, celui du barrage électoral de 10%, qui empêche l'ANAP, le DYP, le MHP, le DEHAP et le DSP d'être représentés au TBMM. Leurs voix sont redistribuées proportionnellement aux partis qui franchissent le seuil des 10%. En 2002, seuls l'AKP et le CHP accèdent au TBMM. L'ANAP a pu se reformer en tant que groupe parlementaire, grâce à 20 députés qui se sont détachés de l'AKP pour la plupart.


Le fractionnement du TBMM entre les partis a pu être limité, de manière relative, par le barrage des 10% dans les années 1980 seulement. Par la suite, ce barrage n'a pas été en mesure de contrebalancer les fractionnements partisans, ouvrant la voie à un déficit démocratique important. En 2002, seuls 2 partis sont représentés, en dehors de la très petite minorité de députés autonomes(DA), au nombre de 8 . Au total, le TBMM ne réunit que 55% des voix exprimées. Ce qui veut dire que 45% des voix exprimées aux élections ne sont pas représentées dans le TBMM. (AKP+CHP+DA=55% des voix exprimées). Si l'on rajoute à ce déficit démocratique, celui de l'abstention, la légitimité du TBMM s'en trouve encore amoindrie. En effet, le TBMM ne réunit que 41% des voix des personnes inscrites sur les listes électorales en Turquie : (nombre de voix AKP+CHP+DA) / 41.407.025 = 41 %.


Le tableau qui suit reprend une estimation de la répartition des sièges à un barrage à 5%:


Parti

Nombre de siège (barrage à 5%)

AKP

260-280

CHP

110-130

DYP

50-60

MHP

30-50

GP

25-35

DEHAP

35-55

ANAP

10-20

http://www.radikal.com.tr/haber.php?haberno=219478



En résumé, Recep Tayyip Erdogan gouverne à la tête d'un groupe parlementaire qui contrôle 64% du TBMM grâce à 34% des voix exprimées en 2002.


Les voix récoltées par le parti AKP représentent 26 % de la liste électorale.


Les partis politiques représentés au sein du TBMM ne réunissent que 55% des voix exprimées, 45% des voix étant perdues (kayip oy) à cause du barrage des 10%.


Les partis politiques représentés au sein du TBMM ne réunissent que 41% des électeurs inscrits sur les listes électorales, 59% étant soit des votes perdues (kayip oy), soit des abstentions (taux de participation aux élections de 2002 s'élève à 79.1 %)

-Sur une population de 67.8 millions de personnes, 61 % étaient en âge de voter en 2002.

-10% seulement du TBMM précédent ont été réélus en 2002.



L'isolement progressif de l'AKP, et une certaine cohésion à l'opposition


Ces tableaux permettent de comprendre le malaise au sein de la population, et les prises de position à l'intérieur comme à l'extérieur du parlement. Ces prises de positions peuvent être regroupées autour de trois arguments qui font l'unanimité au sein de tous les partis en dehors de l'AKP, même s'ils ne sont pas toujours exprimés selon les mêmes formules ou avec la même virulence. Le premier argument est la sur-représentation d'une minorité AKP au sein d'un 'parlement minoritaire', comme exposé précédemment.


Deuxièmement, le calendrier électoral offre une opportunité qui n'est pas saisie par le gouvernement, malgré les pressions. En effet, l'élection du 11ème Président de la République par un parlement qui en est à sa 5ème année crée un rapport de force entre l'AKP et l'opposition. En avançant de quelques mois les élections générales, prévues pour le mois de novembre 2007, C'est un TBMM renouvelé qui aurait eu à élire le président selon la volonté de la base électorale. En effet, si chaque parti politique défendait son programme, en présentant par ailleurs un candidat à la présidence, ils permettraient ainsi aux électeurs de s'exprimer sur le profil du futur président également. L'AKP résiste, au risque de se retrouver encore plus isolé, pour faire élire le Président par un TBMM qu'il contrôle pour l'instant.


Enfin, un clivage politique qui porte sur la laïcité empêche les autres partis (CHP, DSP, ANAP, DYP, MHP) de se rapprocher de l'AKP. Les 5 années au pouvoir n'ont pas suffi à convaincre l'opinion publique de la laïcité d'un parti politique, dont les fondateurs sont poursuivis par un passé lourd, qui suscite la suspicion des milieux laïques, mais également de l'opinion publique au sens large. Les déclarations dénonçant ouvertement la laïcité et l'héritage du fondateur de la République dans le passé, par la voix de Recep Tayyip Erdogan, de Bülent Arinç et d'Abdullah Gül, placent ces derniers dans une position difficile à défendre. Pourtant, ce qui a été dit a été dit il y a plus de dix ans. Il a fallu remonter aux archives du milieu des années 1990 pour retrouver les phrases les plus compromettantes pour Abdullah Gül. Mais, ce qui semble impardonnable, c'est l'absence d'un mea culpa, d'une confession qui érigerait Gül au-dessus de son parti, comme le veut la tradition politique turque, mais aussi comme stipulé de manière très claire dans la Constitution. La passiveté d'Abdullah Gül face à la véhémence de certains penseurs du parti AKP ne joue pas en sa faveur, à un stade où il a besoin de soutien extérieur à l'AKP.






L'article 102 de la Constitution


Selon cet article, le président de la République est élu avec le 2/3 du nombre total de membres du TBMM (« Cumhurbaskani, Türkiye Büyük Millet Meclisi üye tamsayisinin üçte iki çogunlugu ile ve gizli oyla seçilir”). Sur un nombre total de 550, 367 sièges doivent être réunis pour élire le nouveau président au 1er tour. L'élection se fait en 4 tours, dont les 2 premiers exigent 2/3 des voix. Au 3ème tour, la majorité absolue seulement est requise, soit 276 voix. Enfin, si le président n'est toujours pas élu, les 2 meilleurs candidats s'affrontent au 4ème tour, et celui qui récolte le plus de voix devient président. La Constitution ne précise pas ce qu'il advient en cas d'égalité entre les 2 candidats au dernier tour, soit 138 voix pour chacun. Le président de l'assemblée ne participe pas à l'élection du président.


C'est en décembre 2006 que l'ancien président de la Cour constitutionnelle, Sabih Kanadoglu, a pour la première fois attiré l'attention sur les exigences de l'article 102. Selon lui, et un certain nombre de juristes, l'article 102 exige 367 voix pour que le président soit élu au 1er tour. Mais cette clause exigerait aussi, selon Kanadoglu, un quorum de plus de 2/3, soit 367 députés présents dans le TBMM lors du vote.


Il faut dire que l'article 102 n'estpas très clair sur le quorum requis. En effet, nombreux sont aussi les juristes et anciens président du TBMM qui prétendent le contraire, à savoir l'article 102 ne régit que le nombre de voix favorables pour l'élection du président au premier 1er tour.


Voici en bref les arguments avancés par chacun:


Thèse de Sabih Kanadoglu et de l'opposition CHP, en faveur d'un quorum de 367 députés:


-l'article 96 régit le quorum du TBMM, en commencant toutefois par “en l'absence de clause spécifique” (baskaca hüküm yoksa), et exige 1/3 des membres du TBMM pour prendre une décision. En l'absence de l'article 102, c'est donc l'article 96 qui est en vigueur. Or celui-ci exige un quorum de 184 députés présents au TBMM, pour réunir 367 voix favorables à l'élection du président au 1er tour. Sachant que le quorum minimum est de ¼ pour prendre une décision dans le TBMM, pourquoi le constituant aurait-il cherché une majorité de 2/3 dans un quorum de 1/3, pour élire le président? L'article 96 n'est donc pas d'application pour l'élection du président.


-en exigeant un quorum de 2/3, le constituant oblige les partis politiques à se regrouper autour de candidats dont les fonctions et les responsabilités sont précisées clairement dans la Constitution, soit préserver la laïcité et l'unité sociale, et garantir le bon fonctionnement des institutions, en coupant les liens avec le parti politique duquel il est éventuellement issu.


Thèse de Bülent Arinç et du gouvernement AKP, président du TBMM :


-en réponse à Sabih Kanadoglu, Bülent Arinç se disait prêt à entamer le vote avec 184 députés présents. Le groupe AKP, à lui seul, représentait alors 351 sièges, selon l'article 96 de la Constitution.


-si un quorum de 2/3 était exigé par la Constitution, il suffirait que 184 députés se réunissent pour boycotter le TBMM pour empêcher l'élection. Dans un cas pareil, les élections législatives sont anticipées pour reconstituer un nouveau parlement et recommencer la procédure. Mais si le scénario des 184 députés absents au TBMM se répète, le système se retrouverait bloqué.


-enfin, Turgut Özal a été élu président au 3ème tour avec 263 voix dans un TBMM qui comptait alors 450 sièges. Mais le 1er s'est fait en présence de 285 sièges sur 450, soit en l'absence du quorum requis aujourd'hui. Personne n'avait alors posé la question du quorum de 2/3, et il n'y a eu aucun recours d'annulation auprès de la Cour constitutionnelle. Süleyman Demirel et Ahmet Necdet Sezer avait atteint un quorum de plus de 2/3 lors de chaque vote.


Le 1er mai 2007, la Cour constitutionnelle rend public sa décison, finalement favorable à la thèse du CHP. Elle interprète la première clause de l'article 102 comme le quorum nécessaire à l'élection du président. Le 1er tour est ainsi annulé, l'AKP n'ayant réuni que 362 députés. Les élections sont fixées au 22 juillet 2007.



Un e-avertissement des militaire


Sur le site web des Forces Armées Turques (TSK), un communiqué de presse est diffusé tard dans la soirée du vendredi 27 avril 2007, soit quelques heures après le dépôt de la plainte à la Cour constitutionnelle par le CHP. En résumé, le TSK fait savoir que les débats menés depuis quelques jours sur l'élection du président se focalisent sur une remise en cause de la laïcité (par le pouvoir AKP), et que dans ces débats, le TSK est partie et défenseur de la laïcité.


La diffusion de ce type de message sous-entend des faits qui en disent plus long que l'acte en lui-même. Premièrement, des mécanismes, internes aux institutions, sont prévus pour exprimer des sensibilités particulières sur une question ou régler un malentendu entre le gouvernement et le TSK qui en dépend. Comme précisé dans son message, le TSK a prétendu avoir déjà demandé aux différents ministères d'intervenir sur ce qu'il considère comme des dérives dans l'enseignement notamment. Le Conseil National de Sécurité (CNS), présidé par le président de la République, est la plate-forme qui permet aussi de mener des actions intégrées entre militaires et gouvernement. Toutes ces collaborations sont internes et se font à l'insu des médias et de l'opinion publique. Une déclaration publique, comme celle du 27 avril, signifie donc que les mécanismes en question n'ont pas porté leurs fruits, du point de vue des militaires.


Deuxièmement, ce communiqué de presse, qu'on appelle déjà le mémorandum du 27 avril (27 Nisan muhtirasi), a d'autres implications spécifiques dans la stratégie menée par le TSK. Il intègre l'opinion publique dans l'action, dans un contexte qui n'est pas choisi au hasard, si l'on tient du discours du président Ahmet Necdet Sezer à la conférence de l'Académie militaire le 13 avril, du rassemblement à Tandogan-Ankara le 14 avril, et enfin du 1er tour, finalement annulé par la Cour constitutionnelle, de l'élection du président le 27 avril au matin.


Enfin, la diffusion du communiqué veut dire aussi qu'on a appuyé sur le bouton au sein du TSK, pour prendre des mesures effectives contre les dérives anti-laïques, et que l'action jusqu'à ce que des mesures soient prises. L'institution militaire ne se contente plus des mécanismes internes, mais décide d'intervenir ouvertement. Cette action ouverte sous-entend que des mesures seront prises jusqu'à ce que des résultats probants soient acquis face à ce qu'ils considèrent comme menace, en l'occurrence les manifestations anti-laïques, ce qui ne manque pas de rappeler l'action menée contre le gouvernement Refahyol le 28 février 1997.


La révision constitutionnelle


Après 4,5 ans, l'Etat laïque en Turquie semble vouloir reprendre ses droits, face à un gouvernement AKP qui tend à s'institutionnaliser en son sein, malgré les résistances. Depuis 2002, la lutte entre les institutions républiques et le gouvernement n'a, en réalité, jamais cessé. Les institutions juridiques et administratives, qui se sont senties menacées par une dérive irréversible, se sont efforcées de préserver le statu quo, rendant difficiles les interactions positives avec les bureaucraties ministérielles contrôlées par l'AKP. Malgré cette stratégie du stato quo choisie par les institutions laïques (tribunaux, bureaucratie étatique, YÖK, TÜSIAD, syndicats, etc.), bien des réformes ont eu lieu depuis 2002.


La majorité AKP au sein du parlement a effectivement permis de voter un nombre important de lois, permettant au gouvernement de mener à bien les réformes en question. Avec le temps, on s'est rendu qu'en dehors de cette majorité, l'action politique du gouvernement était très limitée, voire inexistante en dehors du TBMM. L'action politique est restée confinée à l'intérieur d'une majorité AKP au TBMM. L'actualité politique est restée coincée entre le CHP et l'AKP, sur le thème récurent de la laïcité.


Jusqu'au 27 avril, soit à trois semaines de la passation de pouvoir, le candidat à la présidence du parti AKP n'était toujours pas connu. Finalement, Abdullah Gül a été présenté comme candidat par un parti pour lequel le défi semble toujours avoir été élire un président dont l'épouse serait voilée. Seulement, le cercle de la majorité parlementaire n'était pas assez grand pour la procédure de l'élection présidentielle. Très vite, le gouvernement s'est vu dépossédé du processus d'élection du président. En quelques heures, l'actualité s'est retrouvée coincé entre le TSK et la Cour constitutionnelle cette fois, rendant caduque toutes les victoires acquises au sein du parlement.


C'est à ce stade que la position du gouvernement par rapport au système politique a changé. Il faut dire que l'épisode de l'article 102, et les différentes interprétations possibles ne sont qu'un reliquat d'un système politique instauré en 1982, à l'issu du coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980. Malgré les imperfections de ce système, le gouvernement a toujours su se préserver des critiques, affirmant que les règles constitutionnelles ne sont pas l'oeuvre de son parti. Durant les 4,5 années de mandat, et malgré les propositions de partis comme l'ANAP, le gouvernement s'est abstenu de revoir le système constitutionnel.


Le 2 mai, les élections anticipées furent annoncées pour le 22 juillet. Le même jour, l'AKP a aussi annoncé que la procédure de l'élection du président serait recommencée, et qu'une révision de la Constitution est nécessaire avant le 22 juillet, de manière à faire élire le président par le suffrage universel direct, pour 5 ans renouvelable une fois, et réduire le mandat législatif à 4 ans. Erdogan n'a pas exclu la possibilité d'organiser un referendum pour ladite réforme constitutionnelle, annonçant une deuxième urne pour le 22 juillet.




Conclusion


CHP Vs AKP, le droit Vs la politique, la Constitution Vs TBMM, telles sont les différentes figures de cette confrontation qui devient plus lisible. Le CHP tend à préserver le système politique actuel, en s'aligant sur les prérogatives présidentielles et militaires, grâce à des mécanismes juridiques qui lui sont favorables. L'AKP, fort d'une majorité au TBMM, tend à modifier les mécanismes institutionnels (Çankaya, TSK, tribunaux, YÖK, etc.) qui se trouvent en dehors du parlement. L'élection du président par le suffrage universel direct rendrait possible une emprise sur cette institution au même titre que la majorité au TBMM.


La légitimité des institutions préservée par le CHP est confrontées à la légitimité politique que fait valoir l'AKP. Or la représentation au parlement est biaisée par un système de redistribution de sièges qui repose au barrage de 10%. L'AKP, majoritaire dans un TBMM minoritaire, a tenté d'élire Abdüllah Gül à la fonction présidentielle. Aujourd'hui, il est question d'une révision constitutionnelle par un TBMM dont la longévité est fixée au 22 juillet. Le rapport de force entre le droit et la politique perdure, dans la mesure où la faisabilité d'une telle révision, en dehors de la légitimité politique encore affaiblie par les élections anticipées, n'est pas certaine. Par ailleurs, le barrage de 10% ne figure pas parmi les révisions annoncées, augmentant ainsi les chances du parti au pouvoir de revenir avec une majorité de siège au TBMM. La crise politique, quelle qu'en soit la raison, risque de se répéter avec un TBMM renouvelé.


Or cette même crise politique aurait pu aboutir à une révision concertée de la Constitution de 1982. Le gouvernement AKP n'a pas eu le réflexe de saisir cette occasion pour apporter un souffle nouveau dans les système politique actuel. À l'exemple du processus européen, où il a suffi de suivre une feuille de route préétablie pour s'ériger en champion de l'intégration européenne, les stratégistes de l'AKP, au lendemain de la décision de la Cour constitutionnelle, ont opté de faire un pas en avant dans un système qui s'est avéré pourtant défaillant. Ainsi, un TBMM qui n'a pas été en mesure d'élire le président, s'est confié la tâche de réviser la Constitution, dans le même contexte conflictuel.


L'arrivée de l'AKP dans la scène politique a permis de montrer les défaillances d'un système constitutionnel pourtant maintes fois revues. L'impact sur les autres partis est devenu évident à ce jour. La fusion des partis de droite et l'alliance attendue entre le CHP et le DSP constituent à elle seule un acquis important pour la concurrence politique et un équilibrage dans la représentation parlementaire. Toutefois, le nécessaire dialogue pour une action politique concertée, dépassant la simple majorité d'un parti, semble encore difficile.


Hamdi Gargin


© 2007 L. Schirmeyer