Femmes : droits politiques et citoyenneté
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Femmes: droits politiques et citoyenneté

 

Le droit de vote et l'éligibilité sont étendus aux femmes turques, en 1930 pour les élections municipales, en 1934 pour les élections nationales –donc une décennie avant la France.

 

Les mesures législatives d’émancipation des femmes sont l’une des composantes essentielles de la modernisation de la nouvelle République de Turquie par Mustafa Kemal (Atatürk). Imposées à une société musulmane réticente face à la sécularisation, et qui peine à définir sa nouvelle identité, ces mesures s’inscrivent dans une continuité réformiste remontant aux Tanzimat (à partir de 1839), et accélérée par le régime Jeune-Turc après la révolution de 1908. A partir du début du XXe siècle, un certain nombre de femmes du monde urbain commencent à participer au mouvement social et aux débats politiques, en particulier lors de la révolution Jeune-Turque de 1908: manifestations, meetings, prises de parole. Des militantes demandent alors à pouvoir entrer au Parlement comme observatrices, des suffragistes demandent le droit de vote.

 

La revendication des droits politiques  ré émerge dans le contexte de la Guerre de libération. En 1923, des militantes fondent un Parti républicain des femmes (Kadinlar Halk Partisi), présidé par Nezihe Muhiddine, et qui revendique l'égalité sociale, économique et politique. Les droits politiques sont repoussés par l'argument de l'ignorance régnant au sein du peuple turc, en particulier chez les femmes. Le PRF est dissout lors de la création du Parti républicain du Peuple, parti unique. Le relais est pris par l’Union des femmes turques (Türk Kadinlar Dernigi), qui entend faire de l'obtention du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales son combat principal. En 1930, M.Kemal accorde aux femmes le droit de vote local, élargi aux scrutins nationaux en 1934, pour récompenser la participation des femmes à la lutte nationale, et élargir la base sociale du régime. Cette attribution de la citoyenneté renforce l'image positive de la Turquie à l’extérieur, y compris auprès de mouvements féministes ou féminins occidentaux. Ainsi l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes (AISF), qui réunit son 12e congrès à Istanbul en avril 1935, se félicite de cette acquisition du vote par les Turques. Peu après cependant, l’UFT est dissoute, « l’émancipation des femmes turques » étant présentée comme «accomplie » par le "féminisme d'Etat" kémaliste. 

 

Dans la pratique, la participation politique effective des femmes turques reste réduite sous le kémalisme, et régressera avec le multipartisme. Aux élections législatives de 1935,  18 femmes deviennent députées. De 1934 à 1994,  124 sièges de députés à l’Assemblée ont été occupés par 90 femmes (compte tenu des réélections) : 49 entre 1935 et 1950 ;  49 entre 1950 et 1980 ; 26 entre 1983 et 1994. C’est donc  pendant la période kémaliste du parti unique que le nombre et  le pourcentage des femmes a été le plus élevé. Le passage au multipartisme en 1946 n’a pas entraîné l’augmentation du nombre et du  pourcentage de femmes à l’Assemblée, celles-ci ayant alors perdu le rôle symbolique de porteuses du  projet de modernisation qui leur avait été assigné dans la période kémaliste. 

Même si la Turquie a eu une femme  premier ministre (Tansu Çiller, de 1993 à 1996), le nombre de femmes ayant exercé des responsabilités ministérielles avant elle est dérisoire (5 femmes, la première en 1971), et l’est resté ensuite : en 2007, le gouvernement de l’AKP ne compte que 2 femmes sur 39 ministres (5%). Cette très faible représentation dans les instances de décision politique est un problème important en Turquie, dénoncée par les organisations des femmes. Alors que les femmes sont très présentes dans le monde du travail (y compris dans certains associations patronales comme la TÜSIAD, présidée en 2007 par une femme), et que certains secteurs d’activité sont fortement féminisés (santé et enseignement scolaire, mais aussi justice et université),  les 24 femmes élues à l’Assemblée en 2002 ne représentent que 4,4% des 550 députés ; et seules 18 femmes sont maires sur un total de 3215 municipalités (0,37%) à l’issue des élections municipales de 2004. Il y a 33 femmes membres des conseils de province sur un total de 3.122 (0,96%). Vers la fin des années 1980 pourtant, d’après  les sondages d'opinion et les recherches sociologiques, les électrices (qui commencent  alors à avoir des préférences politiques différentes de celles de leurs maris) déclarent faire plus confiance aux femmes, et clairement souhaiter voir davantage de femmes à des postes de responsabilité. La politique reste, en Turquie, une affaire d’hommes.

C’est pour promouvoir la parité en politique, et plus largement  l’implication des femmes dans les instances de décision, qu’a été créée en 1997 l’Association pour le soutien et la formation des femmes candidates en politique (Kadin Adaylari Destekleme ve Egitme Dernegi, Ka-Der) .  Avec ses treize branches et 3500 membres,  à travers formation et lobbying, veille citoyenne et animation, Ka-Der essaie de  sensibiliser les partis politiques à la participation des femmes, les invite à l’intégrer à  l’agenda politique, et s’est fixé comme premier objectif de porter à 10% le pourcentage de femmes députées. Ka-Der soutient l’adhésion de la Turquie à l’UE, en s’appuyant sur la promotion de la parité  (gender mainstreaming)  prévu depuis le traité d’Amsterdam). Ka-Der participe à Bruxelles à l’European Women’s Lobby (EWL), qui fédère 3000 associations européennes. C’est l’une des nombreuses associations de la société civile travaillant en Turquie et dans l’émigration à la promotion des femmes dans l’espace politique.

 

 

                                                                             Jean-Paul Burdy

Mars 2007


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