Interview 29 novembre
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* Interview sur la question chypriote avec Jean Marcou
pour le Magazine égyptien « Al Ahram Hebdo », 29 novembre
au 5 décembre 2006 (propos recueillis par Camille Sayart)

« Sur la question chypriote, les Turcs n’ont pas tous les torts »

Jean Marcou, chercheur à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) à Istanbul, analyse les conséquences du blocage des négociations entre Ankara et l’Union européenne.


Al-Ahram Hebdo : L’Union Européenne (UE) a exhorté la Turquie à ouvrir ses ports et aéroports aux Chypriotes grecs. Ankara refuse de céder à l’ultimatum. De qui doit venir le premier pas ?

Jean Marcou : Le problème de Chypre est difficile. C’est une crise qui dure depuis 1974 et brouille la Turquie avec ses alliés occidentaux. L’UE dit aux Turcs : « Ouvrez vos portes aux Chypriotes grecs », les Turcs répondent : « D’accord mais suspendez d’abord l’embargo sur le nord de l’île ». La solution serait une réunification de l’île avec un système fédéral. En fait, tout dépend du bon vouloir des communautés chypriotes, grecques et turques. Seulement comme c’est la Turquie qui est en position de demandeur, il va de soi que c’est à elle qu’on demande les concessions. Beaucoup de gens s’étonnent de l’intransigeance turque. Or, sur la question chypriote, les Turcs n’ont pas tous les torts. En 2004, le plan Annan a tenté de réconcilier l’île au moment du dernier élargissement. L’idée était de résoudre la crise chypriote avant l’adhésion des dix nouveaux membres. Le plan de Kofi Annan devait être ratifié par référendum. Et paradoxalement, les Chypriotes turcs ont voté pour et les Chypriotes grecs, contre. Résultat, on se retrouve dans une situation où Chypre continue d’être divisée, mais ce n’est plus la faute des Turcs.

— Croyez-vous au scénario d’une rupture totale des négociations entre l’UE et Ankara ?


— Une chose est sûre, cette crise va gripper et retarder les pourparlers. Mais je vois mal l’UE prendre la responsabilité d’une rupture et les Turcs font sans doute le même pari. Aucune des deux parties ne souhaite que la situation dégénère et il y a peu de chances qu’on en arrive à la rupture totale. Certains membres très importants, comme le Royaume-Uni, refusent toute suspension même partielle des négociations. Il peut juste y avoir une suspension partielle. Il faut s’attendre à une sorte de marchandage. J’espère surtout que cette crise sera l’occasion d’une remise à plat des problèmes, d’un sursaut. Mais le pari est risqué, Chypre a souvent déçu.


— Les rapports de la Commission européenne publiés début octobre pointaient aussi du doigt un ralentissement des réformes en Turquie. A juste titre, selon vous ?


— Il y a eu des efforts très spectaculaires de la part de la Turquie, surtout en 2001, avec la réforme constitutionnelle. On ne peut pas faire des réformes aussi radicales tous les ans ... Du coup, on a l’impression d’un certain tassement. Aujourd’hui, l’essentiel a été fait. Mais une fois qu’on a changé la loi, il faut changer la pratique. « On ne change pas la société par décrets », disait Michel Crozier. Chypre n’est pas le problème le plus complexe. Le plus dur reste la satisfaction des critères politiques et économiques de Copenhague ... Ceci dit, on demande plus à la Turquie qu’à certains canards boiteux européens qui, eux, intégreront l’UE en 2007 et poseront des problèmes économiques non négligeables. Un Turc n’est pas moins bon démocrate qu’un Roumain ou qu’un Bulgare.


— 70 % des Turcs préféreraient un arrêt des pourparlers plutôt que des concessions sur Chypre. Sur le plan officiel, la Turquie a-t-elle toujours envie d’intégrer l’UE ?


— Il y a une déception très forte de la part des Turcs, une poussée de fierté nationale face à cette Europe qui souffle le chaud et le froid. Globalement, la Turquie ne reçoit pas de retour positif malgré son envie affichée d’intégrer l’Europe. Il y a un lobby anti-turc dans l’ensemble des pays européens. Regardez en France, l’adhésion de la Turquie est devenue un grand sujet national. En 2004, 70 % de l’opinion turque était favorable à l’adhésion. Aujourd’hui, les Turcs pensent que l’Europe ne les veut pas. Et puis, il ne faut pas oublier une autre donnée très importante : la Turquie est en période pré-électorale, à l’approche des présidentielles et législatives prévues en 2007. Face à la montée de l’euroscepticisme de la population turque, Erdogan va vouloir calmer le jeu.

© 2007 L. Schirmeyer