La Direction des Affaires religieuses (Diyanet Isleri Bakanligi– DIB) par Öznur Sarikaya
Ali Bardakoglu (Directeur des Affaires religieuses)
Après la Guerre d’indépendance, Mustafa Kemal Atatürk et ses partisans entreprennent de créer une Turquie moderne et laïque. L’abolition de Sultanat en 1922 et la proclamation de la République en 1923 sont les premières étapes de cette entreprise kémaliste. Mais ce n’est qu’en mars 1924 qu’on assiste à la suppression du Califat dont le retentissement dépasse largement les frontières de la Turquie nouvelle. Le Sultan ottoman, en effet, détenait à la fois un pouvoir temporel sur les sujets de son Empire et un pouvoir spirituel sur l’ensemble des fidèles de l’islam. Ainsi, en sa qualité de Calife, il était considéré comme « l’ombre de Dieu sur le terre » par les musulmans dans le monde entier. C’est ce système qui est alors remis en cause car, parallèlement à la disparition du Califat, la République s’empresse aussi d’abolir le seyh’ul islam, personnage très important de l’époque ottomane, qui chapeautait les instances religieuses, garantissait l’application de la Charia et contrôlait un certain nombre d’organisation et de services comme par exemple celui de la Justice. À cette institution multiséculaire succède une Direction des affaires religieuses (Diynaet Isleri Baskanligi, DIB) qui, placée sous le contrôle étroit du gouvernement, incarne la volonté qui est alors celle des kémalistes de créer un islam d’Etat, adapté à la situation nouvelle née de la fondation de la République.
Après la Guerre d’indépendance, Mustafa Kemal Atatürk et ses partisans entreprennent de créer une Turquie moderne et laïque. L’abolition de Sultanat en 1922 et la proclamation de la République en 1923 sont les premières étapes de cette entreprise kémaliste. Mais ce n’est qu’en mars 1924 qu’on assiste à la suppression du Califat dont le retentissement dépasse largement les frontières de la Turquie nouvelle. Le Sultan ottoman, en effet, détenait à la fois un pouvoir temporel sur les sujets de son Empire et un pouvoir spirituel sur l’ensemble des fidèles de l’islam. Ainsi, en sa qualité de Calife, il était considéré comme « l’ombre de Dieu sur le terre » par les musulmans dans le monde entier. C’est ce système qui est alors remis en cause car, parallèlement à la disparition du Califat, la République s’empresse aussi d’abolir le seyh’ul islam, personnage très important de l’époque ottomane, qui chapeautait les instances religieuses, garantissait l’application de la Charia et contrôlait un certain nombre d’organisation et de services comme par exemple celui de la Justice. À cette institution multiséculaire succède une Direction des affaires religieuses (Diynaet Isleri Baskanligi, DIB) qui, placée sous le contrôle étroit du gouvernement, incarne la volonté qui est alors celle des kémalistes de créer un islam d’Etat, adapté à la situation nouvelle née de la fondation de la République.
La loi no. 429 qui crée la DIB en 1924 donne à celle-ci son premier statut juridique. Ce texte définit la fonction de la DIB comme étant celle « de diriger les affaires de la religion islamique en ce qui concerne le culte et la croyance et d’administrer les mosquées et les autres édifices de l’islam ». Mais la situation juridique de cette institution évoluera après l’époque kémaliste. La constitution turque de 1982, dans son l’article 136, fait de la DIB une véritable institution publique qui prend place dans l’administration générale. Ce même article souligne que la DIB a la responsabilité de mettre en œuvre une série de missions définies par une loi spéciale en respectant le principe de laïcité, en se gardant de toute influence politiques et en ayant pour but la solidarité et la cohésion nationales. La loi spéciale à laquelle renvoie la Constitution de 1982 est en fait la loi 633 de 1965 qui peut être considérée comme le statut actuel de la DIB. Ce texte reprend tout d’abord les missions figurant dans la loi de 1924, en utilisant une terminologie sensiblement similaire (« diriger les affaires de la religion islamique en ce qui concerne les principes de la croyance, du culte et de la morale » « administrer les lieux de culte ») mais il confie aussi à la DIB la responsabilité « d’éclairer la société sur les affaires religieuses ». Ainsi, comme le fait observer Istar Tarhanli dans son ouvrage « Müslüman toplum laik devlet », on doit considérer que la DIB a connu un élargissement de ses fonctions depuis sa création .
L’existence d’une telle institution dans un pays qui se définit comme strictement laïque ne va pourtant pas sans surprendre. Certes, on peut comprendre que le pouvoir politique veuille contrôler la religion dominante. Toutefois, la Constitution de 1982 rappelle que la DIB ne peut fonctionner que dans le respect des principes de laïcité et de neutralité politique. La présence de la DIB dans un Etat laïque s’explique aussi par l’absence d’institutionnalisation de la religion musulmane. En l’absence d’une Église islamique comparable à l’Eglise catholique, l’Etat, dès l’époque ottomane, s’est chargé d’administrer la religion et la République laïque turque se situe ici dans le prolongement de cette tradition. Ainsi, même si la DIB est avant tout un appareil administratif et qu’elle ne détient aucun pouvoir politique et spirituel, elle est critiquée parfois car elle n’est pas totalement en conformité avec le principe de laïcité et particulièrement avec l’idée de neutralité dont ce principe est porteur.
La première critique faite à la DIB est le fait qu’elle ne concerne que l’islam sunnite et même qu’une seule interprétation du sunnisme, le sunnisme hanéfite . C’est un reproche majeur qui vient surtout de la communauté alévie. Adeptes d’un islam chiite particulier, très hétérodoxe et souvent condamné par le sunnisme, les Alévis, qui sont au nombre de plusieurs millions, regrettent de ne pas être reconnus par la DIB et de ne pas pouvoir profiter de ses services. Ainsi, citoyens et contribuables turcs au même titre que les autres, ils estiment que leurs impôts financent indûment une institution qui dispose d’un budget énorme (deux ou trois fois supérieur à celui certains ministères) et ne leur est d’aucun secours. De surcroît, ils supportent mal de devoir subir les politiques d’assimilation que l’Etat mène à leur égard, souvent par le biais de la DIB.
Une autre critique souvent adressée à la DIB concerne les activités missionnaires qu’elle s’est mise à assumer de plus en souvent depuis la fin du monde bipolaire dans les pays turcophones du Caucase et d’Asie centrale ou sur d’anciennes terres ottomanes dans les Balkans. La DIB, en effet, a de multiples activités en direction de ces pays : ouverture d’écoles religieuses, formation de leurs enseignants, organisation de la mobilité de leurs élèves en Turquie ou diffusion de publication notamment de manuels d’enseignement religieux traitant des sources fondamentales de l’islam. En l’occurrence, la DIB n’agit pas pour l’essentiel de sa propre initiative avec un objectif purement religieux, elle concourt en fait à la politique étrangère de la Turquie en particulier pour entretenir une influence turque dans ces régions. Ce lien étroit avec certaines politiques étatiques recoupe un autre objet de critique. La DIB est souvent accusée d’agir en porte parole de l’Etat plus qu’en représentant des croyants. Et il est vrai que l’observation de sa place dans l’Etat et l’analyse des fonctions qu’elle assume concrètement la font plus apparaître comme une organisation administrative en charge de politiques publiques que comme une organisation religieuse simplement animée d’intentions d’ordre spirituel.
Malgré toutes ces critiques et notamment celles qui mettent en relief les risques de violation du principe de laïcité, la DIB est considérée aujourd’hui comme une institution nécessaire tant par le peuple que par les responsables politiques. Les principales enquêtes menées à son sujet confirment que les partisans de sa suppression restent au bout du compte très minoritaires. Il semble bien, en effet, que l’existence de la DIB soit considérée comme un facteur de sécurité qui permet de faire échec à l’extrémisme religieux et d’accroître la solidarité entre les croyants d’un même pays.
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