La Turquie et l'ouverture de l'Asie centrale
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L’Asie centrale est à la fois un élément incontournable et une référence mythique de l’Histoire de la Turquie contemporaine. C’est un élément incontournable parce qu’elle est effectivement le berceau des peuples turcs, de leurs langues et d’un certain nombre d’autres traits de leur culture ; ce qu’on a appelé d’ailleurs jusqu’à la Première Guerre mondiale, « Turkestan », c’est-à-dire « le pays des Turcs » recoupait en fait, entre les Steppes Kazakhes, la Mongolie, le Tian Chan, l’Hindou Kouch et les Plateaux iraniens, ce qu’on nomme aujourd’hui « Asie centrale ». Mais il y a là aussi une référence mythique parce que, dès le VIème siècle, les peuples turcs d’Asie centrale ont commencé une lente marche vers l’Ouest qui les a vus se convertir à l’Islam, se transformer ethniquement pour créer de nouveaux Empires ou de nouveaux États. Ainsi loin d’être les descendants directs de ces peuples, comme le voudraient actuellement les mouvements turcs ultra-nationalistes, les ressortissants de la République turque contemporaine sont aujourd’hui le produit de brassages de populations et de civilisations, réalisés sur plus d’un millénaire notamment au cours des périodes seldjoukides et ottomanes. La réalité de cet éloignement a été bien illustrée par une Histoire plus récente. D’une part, quelle qu’ait pu être son étendue, l’Empire ottoman n’a jamais dominé cette région et en a même été coupé par l’expansion de l’Empire tsariste à partir du XVIIIème siècle. D’autre part, de sa fondation à la fin du monde bipolaire, la Turquie contemporaine a quasiment ignoré un espace exclusivement dominé par les Soviétiques.

On comprend dés lors que l’effondrement de l’URSS qui, en 1991, donna naissance à cinq républiques turcophones indépendantes en Asie Centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizstan) et dans le Caucase (Azerbaïdjan) ait pu constituer pour les Turcs un événement important. Cette ouverture a alimenté au cours des années 90 toute une littérature et une réflexion sur la réalité de l’espace eurasiatique et sur la formation d’une aire turque culturelle, linguistique voire politique où la Turquie aurait été appelée à jouer un rôle de puissance régionale majeure. Toutefois, cette analyse a aussi rapidement montré ses limites. Certes, des relations économiques, culturelles et religieuses importantes et inédites se sont développées entre la Turquie et ces nouveaux partenaires mais elles n’ont pas suscité pour autant l’apparition d’un ensemble intégré dominé par Ankara. En effet, la marge de manœuvre de ces nouvelles républiques, qui se sont empressés d’entrer dans la Communauté des États indépendants (CEI) créée par Moscou en décembre 1991, s’est vite révélée limitée, la Russie n’ayant pas renoncé, semble-t-il, à s’intéresser de très près à ce que ses diplomates considèrent désormais comme un « étranger proche ». Pour sa part, la Turquie est restée prudente sur le plan politique dans une région instable traversée par de nombreux conflits identitaires. Ainsi, on peut penser qu’en l’Asie centrale, l’ambition d’Ankara est désormais beaucoup plus de jouer le rôle d’un intercesseur favorisant une ouverture sur l’Occident, notamment en matière économique, que d’accéder au rang de puissance hégémonique.

 

Jean Marcou

Mars 2007


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