Les Détroits et la Convention de Montreux (1936)
Montreux Bogazlar Sözlesmesi
ou: Montrö Bogazlar Sözlesmesi
Les « Détroits » (le Bosphore et les Dardanelles), séparant les péninsules balkanique et anatolienne, contrôlant une voie maritime essentielle reliant la mer Noire à la Méditerranée, ont été au cœur de la « Question d’Orient » jusqu’au début du XXe ; puis des relations complexes entre la Turquie et l’URSS. Le Bosphore est un chenal d’une trentaine de kilomètres, pour 700 à 3000 mètres de largeur, qui relie la mer Noire à la mer de Marmara. Il marque une limite géographique « naturelle », donc théorique, entre l’Europe et l’Asie. Istanbul, autrefois installée à son débouché sud sur la rive européenne, a désormais progressivement colonisé les deux rives européenne et asiatique. Plus au sud, les Dardanelles sont un détroit d’une soixantaine de kilomètres reliant la mer de Marmara à la mer Egée.
La possession et la défense des Détroits, convoités en particulier par les tsars de Russie, cherchant à maîtriser la sortie de la mer Noire, et qui n’ont jamais renoncé à prendre le contrôle de « Tsargrad » (Constantinople), sont un des enjeux de la diplomatie européenne depuis le XVIIIe s. Les Puissances imposent au XIXe s. une présence internationale garantissant la liberté de circulation dans le Bosphore, en mouillant en permanence à Constantinople des bâtiments « stationnaires ». En mars 1915, à l’initiative de Winston Churchill, premier Lord de l’Amirauté, les troupes de l’Empire britannique (en particulier des Australiens et Néo-Zélandais) et l’Armée française d’Orient essaient de débarquer sur la rive européenne des Dardanelles, défendue par les troupes ottomanes et allemandes. La résistance farouche organisée par Mustafa Kemal entraîne l’évacuation du corps expéditionnaire allié en janvier 1916. Kemal acquiert par cette victoire une stature de héros national. À l’issue de la Première guerre, le Traité de Sèvres prévoit en 1920 l’internationalisation des Détroits. Le Traité de Lausanne les rend à la Turquie en 1923, en les démilitarisant sous le contrôle d’une commission internationale. Le Bosphore appartient donc paradoxalement au domaine maritime international. Mais la Turquie va regagner une pleine souveraineté sur les Détroits en 1936.
Le transit international dans les Détroits est, en effet, réglé par la convention de Montreux, signée le 20 juillet 1936. En 29 articles, 4 annexes et un protocole, elle garantit, en temps de paix, la liberté de navigation commerciale, quels que soient le pavillon et le chargement. Les navires de guerre sont soumis à des conditions particulières de déclaration. Les sous-marins doivent naviguer en surface. Les conditions sont modifiées si la Turquie est belligérante : elle peut alors imposer des restrictions de passage aux navires de guerre. En 1945-1946, l’URSS conteste ces dispositions en demandant leur révision, et l’installation d’une base aéro-navale près d’Istanbul. Cette attitude soviétique, perçue comme une menace majeure, est l’une des raisons qui conduisent la Turquie à se ranger du côté des Occidentaux, alors même que la Guerre froide s’amorce en Europe et en Orient.
La Turquie souhaiterait que les conditions de transit par le Bosphore soient beaucoup plus draconiennes pour les navires présentant des risques écologiques, en particulier les transports d’hydrocarbures. Le caractère sinueux du Bosphore, les forts courants nord-sud et les rafales de vent rendent la navigation toujours délicate, alors que défile sans interruption un fort trafic maritime : 53000 navires en 2004, dont un cinquième environ transportent une cargaison dangereuse. Le grand nombre de pétroliers, méthaniers et chimiquiers croisant le ballet transversal incessant des « vapur », navettes de la compagnie des transports municipaux d’Istanbul, fait craindre en permanence des accidents industriels et des pollutions maritimes d’ampleur dans une zone fortement urbanisée. L’internationalisation du Bosphore, sur lequel patrouillent depuis peu des gardes-côtes, ne permet en effet pas d’imposer la présence d’un pilote turc à bord, malgré les pressions turques. Une catastrophe majeure a été évitée de justesse en 1994, lors de la collision de deux pétroliers au cœur d’Istanbul.
La Convention de Montreux, dont la Turquie est la seule autorité de mise en œuvre, pourrait, selon certains juristes, entrer ponctuellement en contradiction avec certaines dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 : le cas ne s’est cependant pas encore présenté.
Jean-Paul Burdy Mars 2007
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