Necemettin Erbakan
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Le parcours de ce fils de cadi (juge musulman) au prénom évocateur (Necmettin veut dire en arabe « étoile de la religion ») né à Sinop en 1926, reflète bien la longue et difficile épopée de l'islam politique au sein de la République laïque turque. Après des études d'ingénierie en Turquie et en Allemagne, Necmettin Erbakan se lance dans la carrière universitaire et devient en 1965 professeur à l'Université d'Istanbul. Il milite un temps par la suite au sein du Parti de la Justice de Süleyman Demirel mais il en est assez vite exclu de sorte que sa carrière politique ne commence véritablement qu'en 1969, lorsqu'après avoir fondé la première et mythique formation politique islamique turque, Milli Görüs, il se fait élire député indépendant dans la ville de Konya. Enhardi par ce premier succès, il fonde peu après, un véritable parti politique se réclamant de l'islam, le Parti de l'Ordre national (Milli Nizam Partisi) mais cette formation est dissoute par la cour constitutionnelle dans le contexte de l'intervention militaire feutrée de 1971. Ce revers n'est que de courte durée et le retour à la légalité l'année suivante lui permet de créer un nouveau parti, le Parti du Salut National (Milli Selamet Partisi  MSP) qui fait un bon score (12%) lors des élections législatives de 1973, ce qui l'amène peu après à devenir vice-premier ministre d'un gouvernement dirigé pourtant par le kémaliste Bülent Ecevit. Erbakan qui est devenu une personnalité politique influente occupera à nouveau ce poste à deux reprises dans les années 70 mais cette fois dans les gouvernements conservateurs dits de « Front nationaliste » (Milliyetçi Cephe) de Süleyman Demirel.

À l'issue du coup d'État de 1980, son parti comme les autres formations politiques turques est dissous, lui-même étant emprisonné puis banni de la vie publique pendant plusieurs années. En dépit, de la création dès 1983 d'un nouveau parti, le Refah Partisi, le retour du leader islamiste s'avère ainsi difficile. Il faut attendre la levée en 1987 de l'amendement constitutionnel interdisant toute activité aux anciens dirigeants politiques et surtout la percée électorale du Refah lors des municipales de 1989, pour voir le leader islamiste commencer à retrouver l'influence qui avait pu être la sienne antérieurement. Il ne va pas tarder d'ailleurs à la transcender. En effet, après avoir conquis les mairies d'Istanbul et d'Ankara, lors des municipales de 1994, son parti devient le premier parti turc lors des législatives de 1995 (21,5% des voix), ce qui amène Erbakan quelques mois plus tard à devenir le premier chef de gouvernement islamiste de la République laïque. À la tête d'un gouvernement de coalition où il cohabite difficilement avec le DYP de Tansu Ciller, le leader islamiste ne parvient pas à convaincre et devient bientôt la cible de remontrances sévères émises par l'Armée via le Conseil National de Sécurité qui finit par obtenir son départ en 1997 au terme d'un processus mieux connu en Turquie sous le nom de « coup d'État post-moderne ». Ce revers cinglant se double de la dissolution du Refah par la Cour constitutionnelle, quelques mois plus tard.

La reconstitution immédiate d'un nouveau parti, le Fazilet Partisi (Parti de la Vertu) et les concessions qu'il fait pour se mettre à la page (ralliement de façade à la candidature européenne de la Turquie) ne lui permettent pas de rebondir. Contesté dans son propre camp pour son manque de réalisme par une tendance modernisatrice emmenée par Recep Tayyip Erdogan, il voit sa nouvelle formation connaître un net recul (15% des voix) lors des législatives de 1999. Après la dissolution du Fazilet en 2001, il préfère se séparer de son opposition réformatrice pour fonder de son côté le Saadet Partisi (Parti de la Félicité). Mais cette formation subit un échec cuisant lors des législatives de novembre 2002 (à peine 2% des voix) alors même que le nouveau parti rival de Tayyip Erdogan, l'AKP, qui a par ailleurs abandonné toute référence à l'islamisme, remporte une victoire sans précédent et forme le nouveau gouvernement. Ce nouvel échec semble avoir sonné le glas des derniers espoirs et projets politiques de Necmettin Erbakan.

Jean Marcou
Novembre 2006


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